Kikou,
Quelques notes d'espoir, quand la douleur et l'absence, nous semblent trop fatales. Il y a parfois des anges, j'en ai déjà rencontré ...
Lancinant silence de ces mondes sacrés. Je regarde ce refuge blotti dans les montagnes, et j’entends les moulins à prières. Quelques oriflammes claquent dans le vent des hautes altitudes himalayennes, qui grince sinistre et austère.
Les nuages avancent vite, trop vite, comme le temps qui s’écoule, à l’infini de nos peurs englouties au plus profond de nos âmes impures. Seule avec moi même, je m’écoute, en silence, sans me comprendre, à la recherche d’un autre ailleurs, d’une jouvence, d’un point de départ au delà du port monotone de nos folies spectrales tissées dans les toiles de nos absurdes. Quelques grands oiseaux semblent perdus dans les cieux limpides tout nacrés des neiges trop blanches de ce toit du monde. Petits points de couleurs vives dans les aspérités échancrées de ces humbles horizons où se perdent nos faux semblants, les lamas, vont viennent et remplissent leurs tâches quotidiennes. Seule avec le vent comme compagnon, et ce néant qui nous hante, notre vie passée, nos erreurs flagrantes et ce cœur crevé, à l’agonie de nos amours perdues. Perles de pluie amères, qui glissent sur mes joues et je ne sais plus qui croire, et cet à pic qui me tente, comme la mare noire et stagnantes de mes incertitudes.
Je suis seule, trop seule, éperdue et perdue dans les immensités apicales de ces roches sombres poudrées de blanc. Qui suis je ? Et ses lèvres qui me manquent, je l’aime encore tant ! Je pleure, sanglots longs et tristes tout baignés de colère amère, pourquoi m’a t il quittée ?
Souvenirs épars de nos nuits agitées aux fragrances interdites de miel et de stupre, draps froissés humides et tièdes, comme le fourreau de nos ébats sublimes, autres sommets de bonheurs extatiques, saupoudrés de ce blanc nectar de vie que tu m’offrais sans compter ! Valse à deux temps qui danse sur le précaire équilibre de nos jours, juste fardée de rires et de larmes de bonheur. Et puis tes lèvres mutines et taquines qui m’offraient tant de délices et savaient cambrer mon corps aux frontières insondables du supportable. Ces moments intimes tout nappés de mille connivences de murmures malhabiles et de rires esquissés. Et tes bras puissants qui me serraient sur ton cœur, protecteurs et sûrs juste avant d’unir nos lèvres salées puis nos corps arqués. Tu mangeais mon corps, pas un recoin de ma peau n’échappait à tes longues explorations, et tu distillais mon désir dans les vapeurs opiacées de ton eau de cologne. Et cette nuit, cette dernière nuit, je savais que tu avais quelque chose, mais toute à mon bonheur, je n’y ai pas fait plus attention. Comme la rose qui cache son épine sous ses fleurs ouvertes et délicates, je n’ai vu que ton ardeur, et toutes nos sueurs.
A l’aube, je t’ai regardé t’habiller, secondes volées, encore toute ébahie des mille trésors que tu avais su me faire découvrir, en sondant mes chairs les plus intimes. Jardins secrets, cachés, tu m’as encore souri, merveilleux amant, et déjà tu savais que tu ne viendrais plus.
Une porte qui claque, sinistre et froide, encore quelques fragrances oubliées les images de ton corps athlétique qui se télescopent, opium de mes amours, et le vide immense que tu as laissé, blessant mon cœur d’une profonde balafre qui ne veut pas se refermer.
Pas un mot, juste un sourire, beau jusque dans ta fuite, mystérieux jusque dans tes yeux, et ton dernier regard plein de promesses éteintes, mon amour, tu me manques tellement.
Ode gutturale des lamas en prière, dans les souffles éthérés des puissantes montagnes, qui semblent vivre en apesanteur mourant lentement dans un trémolo plein d’écho. Mon cœur saigne, tu m’as fait mal, je sonde mes ultimes remparts, catafalques alignés de mes épitaphes amères, au plus profond de mes jardins secrets. Ton gisant luit faiblement dans la clarté éteinte de cette drôle de nuit, théâtre subtil de nos mystères échangés, alcôves ouatées de nos baisers ardents, au delà des affres de mes tourments. Le long fleuve tranquille baigne mes incertitudes cosmiques, carrefour des mondes, le passeur attend, seul, dans sa cape d’ébène, sur sa barque plate, le bon vouloir des vivants à rejoindre les morts. Là bas les moines tibétains viennent d’arrêter de chanter. J’ai peur, je suis seule, tu n’es plus là, et je me meurs d’amour pour toi. Le vent redouble, les oiseaux malmenés hurlent impuissants. Là bas les longues nattes de tissus s’arrachent de leurs mâts tristes, vivants un instant leurs vies décousues : morceaux de couleur éclatantes larguant leurs amarres affolées, comme autant de lampions dans le ciel sombre des neiges éternelles.
Rompre ses attaches, rejoindre le passeur, le gris de mes jours brille dans le noir de mes peines.
Contact charnel, audacieux destins sous les cieux déchaînés. Je sens sa main sur mon épaule. Le vide sidéral, mon cœur qui se calme, ma fuite éperdue qui semble enfin trouver sa ligne de conduite. Je me retourne, bouleversée. Il est là, petit gnome tout habillé d’orange. Son regard me transperce, je n’ai rien à lui dire, il a déjà tout compris. Il me montre le reste de soleil, et les nuages qui défilent. Puis il cueille une fleur et souffle sur les pétales, qui s’envolent doucement avant d’être pris par les vents, qui les emmènent lestement dans une danse effrénée. Alors je vois les montagnes, dont son doigt tendu épouse les silhouettes en contre jour, dans un lent mouvement circulaire. Il se retourne à nouveau, et me regarde sévère. Il me parle, une langue chevrotée, séculaire et rugueuse comme ces monts perdus dans le ciel. Je ne sais pas ce qu’il me dit, mais il est des langages que le cœur sait comprendre, sans jamais les avoir appris. Le passeur glisse dans les eaux sombres des autres mondes, il emporte un vieil homme, tout petit au regard béni, tout habillé d’orange. Il ne m’attend plus. Je suis seule, et cette fleur coupée, sans pétales, délicatement déposée au creux de ma main me dit que je n’ai pas rêvée.
Et pourtant je t’aime tant ….
Mille bises
Gaëlle