Missive 2
Echec au Mat syndrome
Bonsoir Philippe,
Je pense que chaque cas est difficile et différent.
Mais je sais par expérience, que la manière dont tu t’immisces dans l’univers de chaque ado, afin d’être incorporé à son biotope est toujours le même.
Il ne faut pas le juger, arrêter de lui dire qu’on comprend son geste, car lui même ne le comprend plus, et se situer comme une alternative, une solution subsidiaire. Il faut que tu lui montres que tu es quelqu’un qui l’écoute, et peut l’aider à ordonner ses pensées, sans lui dire ce qu’il a à faire. Attention tu n’es pas non plus son copain, tu n’es qu’un repère dont il a besoin, mais il doit y avoir une barrière entre toi et lui. Il se doit de vouloir te cacher des choses, c’est vital pour ses repères et sa construction psychique. Attention aussi à ne pas en faire trop et vouloir lui enlever tous ses problèmes.
Dès l’instant qu’on entre dans le schéma « oui je comprends, je te plains, et je vais t’en sortir, tu peux te reposer sur moi », c’est foutu !
Dans le cas qui t’occupe, le seul maître à bord reste cette jeune fille, qui vient de faire une Tentative de Suicide. C’est uniquement elle qui a les rênes de sa vie en main. De cela il faut qu’elle arrive à en être parfaitement consciente.
Après tout est plus facile. Même si elle ne cesse de calmer partout que c’est SA décision, qu’elle ne veut faire de mal à personne, qu’il faut la laisser tranquille, que personne ne peut la comprendre, son geste reste fondamentalement un appel au secours. De là il faut comprendre ce qu’elle veut dire, et pourquoi il a fallu qu’elle en arrive à cette extrémité pour qu’on s’intéresse à elle.
Là deux principaux problèmes : est elle apte à dépasser son geste, à en parler, et à écouter, ou au contraire, s’enferme t elle dans une spirale indéfinissable qu’elle ne maîtrise plus et qui la broie chaque jour un peu plus, rendant inévitable une seconde tentative souvent définitive ?
(Le Mat syndrome)
Il faut ensuite composer avec son attitude sans faillir.
A cet instant elle est terriblement fragilisée, et se complait dans cette position « confortable » d’une ado choyée, adulée, envers qui chacun s’intéresse et est gentil avec elle, ce qui arrive généralement après une Tentative de Suicide de la part de son entourage.
Dès lors, si elle a fait son geste pour qu’on s’intéresse à elle, elle a gagné, et là à nouveau deux solutions.
Elle comprend qu’elle est aimée, et elle peut s’en sortir, car elle ne recherche plus l’image d’enfant choyée qu’elle avait perdue et se rend compte elle même qu’elle n’avait vraiment pas besoin de faire une Tentative de Suicide. Nouvelles finalités à ses phases d’introspections qui l’ont menées vers le suicide (voir plus loin) ou, et c’est souvent cela, elle se rend compte qu’elle vient de trouver la solution miracle pour exister aux yeux des autres, et là c’est la dégringolade, car si on n’y prend pas garde et que l’on n’arrive pas à identifier ce schéma là, elle recommencera inévitablement.
Ce schéma est volontairement simpliste. Il va de soi que les origines de son acte manqué sont bien plus complexes que cela. Mais il se peut que cet aperçu facilite ta préhension du Mat syndrome.
Pour moi l’attitude à adopter est l’écoute active, la reformulation des problèmes qu’elle essaye de repérer et de dire, et un capital « amitié » prépondérant sans jamais résonner dans l’affect. Attention cependant à ne pas en faire trop. Il faut qu’elle ait confiance en toi, mais tu ne dois pas passer pour un de ses camarades à ses yeux. Il est obligatoire que tu laisses entre vous un seuil à ne jamais franchir, tu restes un adulte responsable afin que cette fille matérialise parfaitement les fonctions de chacun.
Je sais que la situation de professeur n’est pas idéale pour suivre une telle élève, car on ne peut pas faire tout ce que l’on a envie de faire pour de multiples raisons. De plus il faut faire attention à l’image que l’on donne de soi aux autres élèves, (qui peuvent soudain réaliser qu’il est finalement facile de bien se faire voir des profs, il suffit de faire une Tentative de Suicide), et c’est là, la pire interprétation que les autres élèves (fragiles) puissent faire.
Je n’aborderai pas d’autres extrapolations qui peuvent voir le jour dans le cercle d’une classe, d’une école, et qui n’ont pas toujours de fondements, mais auxquelles chaque professeur se doit d’être vigilant lorsqu’il essaye de se rapprocher d’une élève afin de lui venir en aide.
De toutes façons il faut identifier les causes réelles du mal être de cette jeune fille. La théorie qui dit que le suicide est lié à un état dépressif est fausse.
Je crois qu’il n’y a que 15 % environ des suicidaires qui relèvent d’une authentique dépression.
De plus il est aisé de prévenir la véritable dépression, tant les signes cliniques avant coureurs sont nombreux.
Je pense au contraire que d’en arriver là, même pour un ado qui vit les choses avec beaucoup d’intensité, c’est la finalité d’un douloureux cheminement intime.
A nous de nous intéresser à la personne afin de déceler ce qui ne va pas ….
(Conflits parentaux, abus, climat délétère ou violent, inexistence du soutien parental…) et d’y remédier au mieux en en parlant aux parents concernés EN PRESENCE de l’enfant. S’il se rend compte qu’il est « trahi » par celui à qui il se confie, tu as tout perdu !
L’accident initial est toujours là, sorte de raison objective en quelque sorte :
La perte d’un être aimé par exemple, même parfois un simple chagrin d’amour, la peur de décevoir les parents avec de mauvais résultats scolaires, des difficultés relationnelles avec les parents, des relations compliquées avec ses copains ….
Le fait d’entendre ou de lire (sur les blogs) l’envie de se suicider d’un ado est TOUJOURS à prendre au sérieux. Les relations amoureuses sont souvent à l’origine d’une déprime incroyable, surtout chez les filles, ce fameux spleen dont je t’ai déjà parlé.
Le problème principal c’est qu’une tentative ne guérit pas de l’envie de recommencer.
Il faut toujours surveiller et anticiper une personne qui nous a donné des signes de volonté de se tuer.
Le schéma est souvent similaire, on entre dans une trajectoire suicidaire en cinq étapes (le Mat syndrome) on commence par ne plus avoir peur de la mort, et par peur de la vie on se prive du choix même de vivre.
La particularité de ce schéma est qu’il est parfaitement constitué.
Chaque personne suicidaire se doit de passer par ces étapes quel qu’en soit l’ordre, mais chacune de ces phases a un début et une fin. Il faut que la personne ait accompli les cinq phases de ce Mat syndrome, pour qu’elle soit effectivement prête à se suicider. Elle s’affranchit de ces phases plus ou moins vite, et c’est durant ces phases de préparations psychiques que l’on se doit de les repérer et d’intervenir.
Durant tout ce temps le risque de suicide est prévisible.
Après il est trop tard, car le geste lui même est imprévisible, dès lors que le suicidaire a effectuer la totalité de ces phases.
Cela reste malheureusement vrai après l’échec d’une première tentative, il est en position de suicide potentiel, car il a assimilé
les cinq phases du Mat syndrome. L’imaginaire roi (phase 1) De plain pied dans le refuge vers cet univers goth : demande de réassurance, constitution d’un monde imaginaire centré sur la mort et le morbide. Son ressenti est l’anxiété.
La lutte (phase 2) Puissant sentiment de douleur d’arrachement, peur de son devenir intérieur, prise de conscience de la réalité de la mort. Son ressenti est centré sur le sentiment de destruction et des angoisses à répétition.
Le renoncement (phase 3) Le désespoir prend le pas sur tout le reste. L’adolescent oscille entre des périodes de léthargie et des sursauts désespérés dans la quête immobile de sa propre disparition, dans la mort de sa souffrance. Cette phase est facilement repérable pour peu qu’on s’intéresse à la personne atteinte du Mat syndrome. Le ressenti de cette phase est caractérisé par une démission globale de la personne, un abandon un enfermement un repli sur elle même.
A ce stade il est encore possible d’enrayer la trajectoire vers le suicide, si on arrive à créer une empathie solide avec le sujet de manière à instaurer un climat de confiance et de calme propice aux confidences. Il faut arriver à lui faire dire ce qui ne va pas et qui lui donne ce spleen caractéristique.
Les deux autres phases peuvent être très rapprochées, voire confondues.
Le ressentiment (phase 4) Persuadé d’avoir trouvé ses réponses, le sujet cherche à convaincre son entourage du bien fondé de sa découverte. Le fait de lire des blogs ou des sites goths, qui ne parlent que de ça, lissant les paradoxes des concepts de vie et de mort, peut l’aider à se convaincre de l’exactitude de ses pensées. On décèle de l’agressivité, la personne veut vérifier son schéma de pensées en éliminant les paradoxes qui surgissent indubitablement de son raisonnement et cherche à convaincre les autres par des affirmations infondées ou farfelues. Il n’y a plus de dialogue possible, son mode de pensée est totalitaire, arbitraire, vindicatif, sûre de son bien fondé, la personne n’est plus en phase d’écoute, le processus d’autodestruction est enclenché. Ses ressentis sont basés sur la haine et le profond sentiment d’injustice.
L’œil du cyclone (phase 5) Maintenant persuadée d’être incomprise et d’avoir la seule et unique vérité, la personne se laisse engloutir dans une douce mort. Cynique et froide, plus rien n’a vraiment d’importance, elle s’enlise dans son concept et n’arrive plus à comprendre son entourage. Ses ressentis sont basés sur le détachement excessif à son environnement et une totale déconnexion.
Le passage d’une phase à l’autre est toujours engagé par l’échec dans l’accomplissement de cette phase d’introspection.
Au début d’une phase, le sujet pense qu’il arrivera à trouver une solution à son problème. De ce fait il est prêt à essayer de tout faire pour se sortir de cette impasse. C’est l’échec à trouver une issue à cette phase qui l’oblige à chercher autre chose le faisant ainsi entrer dans la phase suivante.
Les phases ne se suivent pas forcément dans le temps. Il peut s’écouler plusieurs mois, voire plusieurs années pour que la personne ait accompli les cinq phases du Mat syndrome, et inversement cela peut aller très vite (moins d’un mois) pour les cas les plus grave, liés le plus souvent à un traumatisme soudain (divorce, viol, perte d’un être cher …).
Le vrai danger après une Tentative de Suicide est que les parents entrent dans un sentiment de culpabilité, car ils perdraient alors leur rôle de repère plus que jamais primordial pour aider leur adolescente à se sortir de son mal-être.
Ils ne sont pas forcément responsables de l’acte suicidaire.
La culpabilité des parents est dangereuse, car ils doivent marquer leur présence et ne pas changer d’attitudes vis à vis de leur fille, et cela coûte que coûte. Ils sont le repère principal de leur fille, et ne peuvent se départir de ce rôle intrinsèquement lié à son évolution psychologique. Ils doivent bien sûr montrer qu’ils ont parfaitement conscience de la souffrance de leur fille, être à son écoute mais le copinage la priverait de ses repères, car les parents entreraient alors dans le monde de l’adolescente, l’empêchant de vivre cette période faite de secrets la responsabilisant trop tôt.
Voilà Philippe, ce que je peux te dire sur la prévention du suicide en général, et je te remercie vivement de te donner du mal pour ces jeunes qui connaissent parfois les affres pernicieuses d’une instabilité psychologique. C’est vraiment bien de le faire !
Mille bises
Gaëlle
PS. : Je te donne les coordonnées d’un excellent bouquin qui simplifie la préhension des étapes de ce Mat syndrome : Le grand blues, Alain Meunier et Gérard Tixier, éditions Payot
PPS. : Merci